• Rondaies de l’île dorée – adaptés du Baléar par Peter Roderick - 1937 - Extraits et Citations

    L’Amo de Son Cardaix. Au temps que nos grands-mères n’étaient pas nées, il arrivait que le pirates maures venaient souvent avec leurs barques, tout doucement, et débarquant à l’improviste dans une crique ou dans une anse, se jetaient sur les campagnes, y prenaient enfants, femmes, hommes et bêtes, et vous les emmenaient bien vite en Alger : ahi ! les pauvres.<o:p></o:p>

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    On avait bâti, sur la pointe escarpée des montagnes, tout autour de l’île, des tours de guet, les talaias qui s’y trouvent encore, et d’où l’on voit la mer s’étendant jusqu’au ciel. Des veilleurs y restaient toujours, chargés d’allumer un grand feu au sommet dès qu’ils verraient une barque suspecte. Aussitôt, chaque autre tour allumait également un feu, et bientôt, c’était tout autour de l’île comme une ceinture de brasiers et de fumée.<o:p></o:p>

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    Les hommes, dans les champs, voyaient ces feux et ces fumées et je vous assure qu’ils se hâtaient d’appeler leurs gens et leurs bêtes, et leurs voisins, et de se replier sur les villages, bâtis exprès à quelques lieues dans l’intérieur, loin de la mer. Chacun s’enfermait au plus serré : et prières, et larmes, et tremblements et complaintes !<o:p></o:p>

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    Mais il y avait toujours des nuits sans lune et des jours de nuages : c’est ceux-là que choisissaient les Maures. Dans l’entrelueur et le silence, leurs barques avançaient doucement, et l’on n’entendait que le faible clapotis des rames. Bientôt, ils débarquaient sans bruit, comme avaient débarqué le Roi Jaime et son ost qui les avaient chassés de l’île, longtemps avant. Alors, ahi les pauvres ! tous ceux que les Maures trouvaient étaient tués, s’ils ne se défendaient, ou bien étaient pris et menés comme esclaves en Alger.<o:p></o:p>

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    C’est ainsi que les païens prirent un jour l’Amo [le Maître] de S’on Cardaix de Pollensa, un bel homme fort et dans le bon âge, toujours plein de riaies entre sa femme et ses enfants.<o:p></o:p>

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    Il était allé chasser les oiseaux au filet, s’en revenait dans la nuit, quand il tomba lui-même dans les filets des Maures, qui n'en firent qu'une, comme vous pensez : avant d'avoir dit « ah ! » il était ligoté et jeté dans la barque des pirates qui bientôt s'en repartirent, à pleine voile.<o:p></o:p>

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    Je ne vous dis pas comme était l’Amo de S’on Cardaix, quand il se vit entre tous les pirates, et plus encore lorsqu'il se trouva, trois jours plus tard, exposé au marché des esclaves, en Alger. Il avait toujours été fier comme un senyor, et maintenant, de se sentir jugé, mesuré, estimé, il était près, le pauvre, d'éclater en jurons et injures. Mais, bien soigneux de garder bouche fermée ! Et toute sa rage se passait en dedans.<o:p></o:p>

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    Et les Maures le dévisageaient, et causaient entre eux, et parlaient au marchand d'esclaves, et puis passaient ; et d'autres Maures venaient ensuite, qui le dévisageaient à leur tour. Parmi eux était un vieil homme, qui était repassé plusieurs fois. Celui-là regardait longuement notre Amo de S’on Cardaix, et parlait au marchand, et puis le regardait encore. On voyait qu'il pensait : « cet homme est un bel homme fort est dans le bon âge. » Enfin le marchand dit à l’Amo de suivre le vieillard, qui serait son maître désormais, car il venait de l'acheter, et un bon prix.<o:p></o:p>

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    Le vieux Maure emmena l'homme dans sa maison et lui dit les travaux à faire, puis  le laissa. C'est alors que notre Amo se sentit perdu tout entier. Jusqu'alors, la rage et les jurons l'avaient soutenu, il pensait trop aux Maures et aux pirates pour penser vraiment à lui-même. Mais maintenant il était tout seul dans un jardin d'amandiers et d'oliviers, comme le sien ; sa besogne était toute semblable à celle qu'il aurait faite à S’on Cardaix ; et dans la maison, de petits enfants Maures jouaient et riaient comme les siens. Reverrait-il jamais Majorque ? pensait-il. Et cet homme fier et fort se mit à pleurer comme un enfançon.<o:p></o:p>

    Comme il était bon travailleur, il fit bien et vite son ouvrage. Son maître, le vieux Maure, l’en estima davantage et lui confia bientôt le soin de toute sa maison. Lorsqu'il s'absentait, il lui donnait les clés des coffres, et savait qu'en rentrant il trouverait tout comme il l'avait laissé.<o:p></o:p>

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    Mais quand il était seul, l’Amo de S’on Cardaix se mettait à pleurer comme un petit enfant.<o:p></o:p>

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    Une fois, comme il pleurait ainsi, qu'il s'était assis à la fraîche près de la citerne, il n'entendit pas rentrer son maître. Il releva soudain la tête et vit le vieux Maure devant lui. Oh ! Qu'il était honteux, l'Amo, qu'on l’eut ainsi surpris pleurant et ne travaillant pas.<o:p></o:p>

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    Il se leva en prenant un air brave, et s'en allait, quand le vieillard l'appela doucement et lui demanda : « Pourquoi pleurez-vous ? ».<o:p></o:p>

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    Aixo era y no era<o:p></o:p>

    Bon viatge fassa la cadernera<o:p></o:p>

    Tres aumuts per voltros, y per mi una barcella<o:p></o:p>

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    Il était une fois et il n’était pas<o:p></o:p>

    Fasse bon voyage le chardonneret<o:p></o:p>

    Trois setiers pour vous, un boisseau pour moi<o:p></o:p>

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